Tu es debout seul sur le palier de ta chambre
Tu es debout seul, face à moi
Tu es seul dans l’obscurité
La lumière projetée de la lune sur le sol ton ombre
Ton ombre démesurément disproportionnée
Le parquet de chêne supporte en grinçant ton ombre
Tu es seul nu Tu es obscène
Tu n’es pas seul
Je suis seule face à toi.
Je ne veux pas te voir nu.

Je cris
– NON !
As tu peur ? Pourquoi ai je peur de te voir nu dans l’obscurité froide de la lune ?
Tu m’exhibes ta bite les jambes écartées
– Quoi, c’est la première fois que tu en vois une ? C’est sûrement pas la dernière !
Je n’ai pas 7 ans.
Es-tu mon père ?

Je me venge. Je ne suis plus seule. Tu es toujours seul debout nu moche dans ta laideur putride.

Je suis debout, je suis grande, je dépasse ton ombre, je suis avec mes ami·es, nous sommes toustes là,
objets contondants comme des mots les mots de la justice les mots de la puissance retrouvée, objets
contondants prêts à te péter la gueule, à te jeter au sol, les mots de ma vérité, les mots que tu m’as
empêcher de penser, les objets contondants que je n’ai pas pu te balancer.

Je les dépose à tes pieds au creux de ton ombre juste sous ta bite pendante.

Mes ami·es me regardent, me soutiennent, le parquet en chêne me soutiens et s’effondre, s’évapore
derrière moi. Tu tombes sous mes mots, sous mes coups. Plus personne pour me retenir. Je me défends je parle, j’existe, j’ai ma propre lumière.

J’ai mon ombre, je te laisse la tienne.

Je te laisse ton froid, ta fumée, tes cris, tes insultes, ton sarcasme, ton mépris.

Je n’habites plus dans ton ombre.

Je dépose mes mots ma vérité mon vécu mon histoire là à tes pieds. Je me retourne et sans peur je m’éloigne, je m’extrais. Je n’ai plus froid dans mon dos. Ta présence s’émiette. Le soleil se lève. J’ai chaud depuis ma colonne vertébrale. Je m’appartiens.

Tu ne voleras plus mes pensées ni mes nuits.

Il fait jour en moi.

Alors viendra la nuit

Observe et respire


La lumière se lève sur la prairie désolée
La lumière ocre irradie de la terre
________soulève la brume
Le jour est là qui verse en toi sa force nouvelle
Tu l’aspires, tu as raison. Goûte la vie qui naît,
________emplis tes poumons
Alors tu sauras

Quand la vapeur d’aube teintée de jaune pénètrera ton corps
Quand elle aura plaqué tes cheveux par mèches sur tes joues
Quand tes alvéoles seront lourdes de plomb
Quand tes narines pleines de l’odeur du sang et de la poudre reconnaitront la mort
Alors tu verras


L’aurore qui t’appelle décillera tes paupières
Tes yeux seront nus et vulnérables
________à la brûlure de la fumée qui monte de la vallée des cadavres
Les images se graveront sur ta cornée à vif
Des uniformes couleur de boue
________déchiquetés
Des membres entremêlés
________à la chair exposée
Des canons vers le ciel dressés
________à la gueule explosée
Et lentement la brume pernicieuse jouant avec les buissons
Traversera charniers et toiles d’araignées
Lentement, le poison de cet Hier que tu n’as jamais rencontré
Lentement ce gaz, arme sans repos, chargé de la bile, vicié des humeurs de ses victimes
Lentement, il va te toucher
________saisir tes pieds
________sceller tes orteils
________palmer tes doigts


Alors tu entendras
La clameur du silence – déjà oubliée
Le crépitement du givre sur l’herbe qui s’écartera devant la nuée de souffre habillée


Alors au fond de ton être s’élèvera un cri étranglé
La révolte du défenseur entravée
L’impuissance du témoin suffoqué
Et ta voix s’éteindra en vague silencieuse
Contenue entre les murs de la désolation


Ton cri sera cet étendard fiché entre les racines d’un arbre calciné
Drap déchiré sur lequel on devine les armes d’un clan décimé
Soulevé par le vent.


Alors viendra la nuit
Alors viendra le jour
________et viendront les siècles
Sens la caresse du temps
Sens
Respire et attends
Attends ce Demain qui sera tien


Quand la nuit engloutira la plaine
Quand la nuit labourera la surface de la terre
________inexorable ressac
________infatigable lavandière purifiant nos maux
Quand elle aura recouvert ton corps gisant de son linceul diapré
Alors tu t’éveilleras


Alors tu rouleras
Sur la masse des cadavres inertes
Tourbillonnant sur le lit des armes rouillées
Désorientée d’avoir été tant brassée
Des profondeurs ta bouche exprimera ce souffle
Telle une sphère venue éclore à la lisière de la pénombre
Ton naufrage sera naissance et déchirure de notre obscurité


Sens la nuit refluer sur ton corps étendu
Son étreinte relâcher la mort disparue
Son baiser libérer tes lèvres, guérir ton regard
Alors la nuit retournera au ciel
________chargée des vapeurs des jours anciens
Et du terreau ainsi baigné s’éveillera le bourdonnement
________de toute vie nouvelle
Alors tu seras


Assis sur le rivage au point où tarit la source
Ton corps immature et souple au contact des galets polis par l’écume
Alors l’aube nouvelle
________éclatante
________victorieuse
Fera briller la poussière de tes cheveux
Entre tes doigts le sable coulera la clepsydre du temps
Ta joue sera sur ton genou posée
Ton visage offert
à la caresse des vents

Alors se lèvera le nuage, se lèvera le jour
Et reviendra la nuit

Travelling cerisier

t’es là
doux présent joyeux instant
odeur de printemps, pétales au grès de la brise, travelling cerisier – sourires
vous êtes là, parenté cimentés à travers le temps, sang ciment des enfances sentimentales, liens charnières
entre habitué.e.s enchantés


tu prendras une respiration puis deux puis trois
tu hésiteras avant de prendre la parole et la fuite
avant de laisser mijoter les remous non-dits des passés ankylosés
verdâtres, marais usées, moustiques des regroupements familiaux printaniers


tu réfléchiras soigneusement aux mots par lesquels ouvrir la séance
thérapie, soin ou tribunal
et au détour d’un silence en rotin
plan large sur familles défaillantes
plan à l’heure du thé, lumière du soir, golden hour des relations défectueuses
d’un coup
tu t’engouffreras dans le tunnel des phrases-qui-ne-s’arrêtent-plus
des mots non dits qui jaillissent forts, torrents de lettres dégoulinants de tes lèvres inarrétables
tu avaleras parfois les mots de liaisons qui ne lient plus grand-chose entre vous, les verbes définitifs,
verbes infinitifs, actions sans pronoms
dire je est indiscible
zoom rapide efficace sur instant suspendus, plan sur réactions, caméra sur visages ombragés
par les mots et le cerisier
son de ta voix ta voix seule déliée et veloutée imperturbable
tu continueras
malgré les lèvres qui s’affaissent malgré les regards courroucés malgré les tentatives d’interruption
malgré les tentations de ne plus être là, malgré les lâchetés ordinaires et ordonnées, malgré les tasses qui
accélèrent le va-et-viens bouche-soucoupe, malgré les yeux qui clignotent malgré le vent qui se lève
tu t’enivreras de ta propre parole
tu parles tu libères tu décris
voix blanche lumière blanche paupières lourdes
visages blafards thé renversés
ceriser imperturbable
caméra gênée regarde ailleurs
plan sur la route derrière oh tiens le facteur


ne resteront que les bras ballants
les souffles courts
les sangs montés aux joues
et pas grand-chose à quoi se raccrocher
pour faire perdurer
les mythes familiaux élimés

Tu devras repartir

A cet instant
Tu grandiras par toi-même
Tu comprendras le vide au fond des émotions
En creusant le sol de tes doigts calleux
Tu chercheras l’eau sous tout rapport
Tu diras je cherche l’eau sous tout rapport
Et les autres répondront
Tu as quitté tes mères et ta famille
Pour venir gratter la terre à t’en déchirer la peau
Regarde le sang sous tes ongles
Tu as grandi ça y est

Alors
Tu porteras à ta bouche sans salive
La somme des épines du monde
De celles qui se logent sous ton derme
Cela te fera mal
Tu pleureras doucement
Et les autres diront
Tu as trouvé l’eau sous un rapport
Et ils riront longtemps
Tu devras repartir

Dans un chemin en spirale tu trouveras
Le bruit des ailes de papillons en tourmente
La fumée de paille soulevée par le vent
Le secret des écorces sanguinolentes
Le langage des pins murmuré aux enfants
Tu devras repartir

Dès lors que tu te mettras
______ en marche
Tu perdras la mesure des heures
qui défilent sous ton pas
Tu seras parce que tu iras
______ ambulant
______ nomade
______ incertain


Ton regard se perdra
______ dans l’infinie modestie des couleurs
Un horizon étréci par les crêtes
Là où pourtant jamais le ciel n’est caché


Tu t’esseuleras
______ dans une belle absence
La montagne sera ton refuge
Tu seras le fragment
______ le regard posé hors de toi
Tu sentiras la solitude
______ te relier à un monde

Picotement sous les pieds
en cet instant tu n’es nulle part
au centre de ta peau
Tu perçois le vert qui glisse depuis la fenêtre
tu sens sous les doigts la couleur du papier
des cloches au loin te parviennent
on entend que l’heure est venue
c’est maintenant
là où tu es déjà

Tu respires un peu plus large
tu ouvres quelque part au creux de toi
un passage
Tu sens combien ton ventre est souple
ta nuque s’allège
Si tu le voulais, tes bras s’élèveraient
et tu pourrais même t’envoler
Pour le moment tu es là sur ta chaise
chaque parcelle de peau est à sa place
rien ne bouge mais tu es en
métamorphose

Tu gardes les paupières en ta maison
tu relâches encore un peu les étaux
qui enserrent ta mémoire
Laisse passer les bribes qui reviennent
tu accueilleras toutes les visions
elles parlent depuis avant toi
attendent de traverser
de devenir forme et horizon

Tu sens comme les nuages t’entourent
au sol, tes deux pieds à plat
l’élancement au-delà des lignes
composites tu empruntes déjà
Ressens comme les trames changent dedans-dehors
tu es autre et pourtant ton visage
est le même
un battement de temps et tout est à nouveau possible
de l’herbe a poussé entre tes orteils

Doucement tu pourras ouvrir les yeux
si le moment textile s’achève
quand l’autre aura pris la place que tu
lui laisseras
Tu pousseras la porte
inviteras un nouveau souffle
à l’intérieur, regarde comme ce paysage est grand
tu l’as déjà dessiné dans le moindre
de tes organes
c’est sillonné de tes veines
tes yeux n’en finissent pas
Tu les ouvriras en dedans
commence le voyage.

à présent

À présent,
tu marches
tu ne sais pas vers où aller
tu marches
simplement
sans t’arrêter
tu tâtonnes tu cherches
le mot juste l’endroit
la place où tu peux doucement te laisser glisser, suivre
le flux le courant
là où ça te mène là où ça te porte
là où tu pourras simplement
te laisser couler
dériver


tu tâtonnes
tu cherches à te rappeler
tes poches sont pleines mais tu ne sais pas de quoi
tu marches
persuadée que la répétition raconte
que la répétition révèle
que de la répétition pousse
autre chose
quelque chose
quelque chose d’autre
de toi


alors tu marches tu marches tu marches
tu suis cet élan
tu suis l’impulsion le mouvement flou du geste
le balbutiement, tu suis
cette envie farouche le décalage
un pas de côté un côté tout court un côté sous-côté
un côté bien droit même si un peu tordu
tiens il en vient un autre là
de guingois c’est peut-être ça
qui l’a dit déjà ?


tu marches
pour marcher,
pour cette torpeur pétillante
cette pointe dans le ventre
ce cri qui jaillit


quand ça rit
à l’intérieur de toi
quand tu écris aussi
ça rit
à l’intérieur de toi
quand ça se fiche de l’ordre des mots de l’ordre des phrases
quand ça se fiche du sens
quand ça parle quand ça bruisse quand ça vibre
quand ça jaillit
Alors tu te laisses glisser
tu laisses
glisser
ce qui dans ton ventre dérive
tracera
un sillon un sentier
un chemin
tu voudras voguer à contre-courant
pour sentir le courant
pour t’y laisser glisser
à nouveau
comme une enfant
tu défieras la pesanteur
tu courberas
le point la ligne
tout ce qui a fait ton regard
même le vocabulaire
tu apprendras à désapprendre
tu parleras dans des langues que tu croyais connaître
mais tu ne reconnaîtras pas
ces mots bancroches qui s’échapperont de toi


ce sera
comme un premier cri
comme un premier pas
qui s’avance sans savoir
juste parce que c’est


Die Bachen lesen ein buch

A trois,
Tu vas arrêter. Pinailler sur n’importe quoi, tu vas arrêter.
Ta bouche, tu ne vas plus l’ouvrir, elle sera fermée
Et ta soit disant brûlure dans le ventre pour moi, tu vas l’éteindre.
Sans adresse, sans verbe, tu ne me verras plus, je ne suis plus dans la grande existence.

Et ensuite,
Tu partiras en Allemagne, à Berlin, où tu veux.
Tu n’auras plus d’amour pour moi, tu n’y penseras pas, ça n’est jamais arrivé.
Les attentes et les grands sentiments, la toute-puissance et l’enfermement. L’enfermement.
Tout ça n’aura jamais eu lieu. Tu partiras en Allemagne peinard, et je partirai sans coup,
tranquille.

Il fait nuit, tu n’as pas allumé la lumière. Il te manque, tu ne veux pas voir qu’il est absent.
Tu avances dans le couloir, à tâtons. Mur de droite sous la main droite comme une immense rampe plate que tu suis. Une palissade. Ta maison s’est muée en un labyrinthe. Tu cherches la faille, la sortie.
Là, tout à coup, sous ta main la trace d’une boursouflure, une cloque traversée d’une ligne accidentée. Tes doigts la détourent, s’interrogent, il n’y a rien de tel sur ton mur. L’angoisse. La mer qui monte dans ton gosier.
À cet instant, tu sais combien tu es fragile, vulnérable… seule. Tu as peur parce que tu es seule. Tu as peur parce que si le mur ouvre la bouche – c’est bien la bouche du mur cette boursouflure, cette plaie que tu sens s’animer sous tes doigts – si le mur ouvre la bouche, personne ne sera là pour le voir t’engloutir.
Tu fais le vide dans ta tête, tu dois te ressaisir. Tu inspires. Tu souffles. Tu inspires. Tu souffles. Tu dois te trouver à trois mètres de la porte de la salle de bain. Tu seras à la salle de bains dans trois mètres à peine. Tu pousseras la porte et là, par la fenêtre, la lune t’aidera à y voir plus clair. Tu ouvriras le robinet, te mouilleras le visage pour camoufler tes larmes… voilà, dans trois mètres à peine, ça ira.

Connard boréal

Ce sera l’hiver 

Devant l’âtre d’un feu vidéo 

Ou peut être l’été

Ventilo + âme dans le dos 

Dans la touffeur d’un mardi 

Sous un ciel sapin grillé 

Tu ne voudras pas y croire 

L’autre aura arrêté tout cuit 

De respirer

Tu seras relâchée 

Les cils en barbelés 

Éloignant tes yeux bruns momie

De ce maintenant 

Où tu n’auras plus jamais 

Le temps 

De lui 

D’être 

De dire                          POURQUOI

De pardonner 

Tu colleras tes mains 

Sur le rebord de sa vie

Tu y chercheras

Les oiseaux les traces 

Du printemps 

Toujours absent            CONNARD

Tu as souvent pensé 

Qu’avaler du vert 

Ça t’ouvrirait un peu

Les boyaux le bide à l’air 

Mais les marques

Ont la couleur boréale

Du temps qui passe

Entre le dégel et la glace 

Elles ne se voient pas 

Ça ne se dit pas

Qu’il il il il il                   T’   A(S) FAIT ÇA

Tu seras là plantée 

Larmes cendrées 

Rouge à lèvrée

Du noir de sa suie 

Tu auras 

Six ongles de pieds

Déjà sous terre

En vigies-nature

De sa lente décomposition

Et dans le talkie-walkie

De ta sève éclatante 

Tu entendras 

Il est mort 

Disparu 

Effacé 

Toi tu vivras 

Tu auras une bouche

Pour crier

tout haut et vert 

Que pardonner

= impossible 

Tant qu’ils n’auront 

Pas compris

Que c’est aujourd’hui

Espace-Temps-Ici-Maintenant 

Qu’il faut casser

L’odieux bruit blanc

Le silence assourdissant 

Tu grandiras enfin 

Mains et épines tendues

Vers les nuages carbonneux

Tu seras immense et lourde

Un phare de chaire retrouvée 

Dans la tempête de ton monde 

Tu seras une forteresse

De fleurs d’eau de sang

Il sera loin le temps 

Des années sans printemps 

Où il était là 

Où ils ne comprenaient pas 

Ces ils n’existeront plus 

Avalés par le monde nouveau 

Dont tu seras l’un et l’une 

D’un peuple taïga tropicale 

Fait de briques et de chocs 

De ciels d’aubépines roses

Et d’amours pleines et justes

Garde-espoir ce soir pétard

TA PAROLE EST EN CHEMIN